En 2022, plus de 720000 bébés sont nés. C’est presque autant de femmes qui sont devenues mamans, pour la première fois ou non. Toutes ses femmes ont en commun l’expérience du suivi gynécologique et obstétrique inhérent à la grossesse. Si par le passé la grossesse était une affaire de femme, voire de sage-femme, le domaine de la naissance a subit une intense mutation au 19e siècle. On assiste à une médicalisation progressive de la maternité.
D’un acte naturel à un acte médical
Jusqu’au 19e siècle, il était entendu que l’accouchement était une affaire de femmes. Mais à cette époque, avec le développement galopant des sciences, notamment des sciences médicales, celles-ci ont voulu s’emparer de ce sujet comme des autres.
L’idée de départ était louable : sécuriser les accouchements et diminuer les morts en couches ainsi que la mortalité. Et si l’on observe les statistiques de nos jours, il est clair que l’objectif est atteint.
Cependant cette révolution ne s’est pas faite sans heurts.
Toutes les sciences au 19e siècle étaient exclusivement masculines. Il existe évidemment des femmes qui ont réussi à se frayer un chemin dans les sphères scientifiques par exception. Mais il ne faut pas oublier que la science est née d’une vision masculine du monde. Ceci n’est pas un jugement de ma part. C’est un simple fait partant du constat que les femmes étaient écartées de la science puisqu’elles étaient jugées moins intelligentes. C’est tout simplement le contexte de cette époque qui a mené à ce prisme sexiste qui transpire encore malheureusement dans les pratiques d’aujourd’hui. Par exemple, les sage-femmes sont bien souvent moins bien considérées que les gynécologues. Pourtant ce sont elles qui pratiquent tous les gestes de l’accouchement et qui détiennent les savoirs concrets autour de celui-ci.
La science est indubitablement un progrès dans la santé et la sécurité des mères et des enfants. Cependant sous le regard médical des hommes qui ont transformé la maternité en science, ce qui était un acte dangereux mais naturel est devenu un problème médical à risque. Aujourd’hui, il n’est pas rare du tout que la grossesse et l’accouchement soient traités comme une condition médicale dangereuse qu’il faut absolument surveiller. Et hélas, cette vision des choses a également pris place dans l’esprit des mamans.
Une grande perte de savoirs
Les femmes qui détenaient les savoirs ancestraux autour de la grossesse et de l’accouchement ont été stigmatisées comme des sorcières. Elles étaient pointées du doigt comme les responsables des morts en couches et des morts infantiles. Les scientifiques les ont même qualifiées de sorcières, et les ont traquées avec une férocité effrayante (1). Avec la disparition de ces femmes, c’est aussi leur savoir que l’on a perdu. Ce savoir a été dénigré et écarté au profit d’une science masculine toute jeune. Cette nouvelle discipline était si sûre de détenir toutes les réponses qu’elle écartait tout autre alternative.
Et c’est là que le bas blesse. Car les découvertes scientifiques d’aujourd’hui nous amènent petit à petit à redécouvrir des savoirs qui sont tombés dans l’oubli.
Une infantilisation systémique
Les mères, comme le reste des femmes au 19e siècle, se sont vues infantilisées. Le médecin savait, les mères (et les femmes en général) ne savaient pas. Elles devaient se soumettre au savoir des médecins et se plier à leurs recommandations. Sinon, elles étaient catégorisées comme de mauvaises mères qui mettaient leur vie ainsi que celle de leur enfant inutilement en danger.
Cette infantilisation liée à la récupération de la maternité par les sciences masculines est encore extrêmement présente aujourd’hui.
Je suis une femme adulte de 39 ans. J’ai une bonne expertise dans mon domaine professionnel et j’ai eu une carrière relativement active et satisfaisante, pleine de défis que j’ai cherchés et relevés avec beaucoup de plaisir. Je peux affirmer sans craintes que je suis une femme déterminée, énergique, indépendante, débrouillarde et compétente.
Pourtant, je ne me suis jamais sentie aussi incompétente et aussi peu considérée que lors de ma grossesse et de mon accouchement. D’un coup, j’étais traitée comme une mauvaise élève. Pire comme une petite fille désobéissante dès que j’avais l’audace de poser une question inattendue ou de vouloir (quel toupet!) prendre une décision qui n’allait pas dans le sens de celle que le professionnel de santé estimait la meilleure pour moi.
Je me demande combien de femmes se sont senties comme moi totalement privées de leur droit de décision et de leur confiance en elles face à des gens qui « savent » et qui « décident » à notre place. « Pour notre bien ».
Je n’ai aucun doute sur la compétence des médecins. C’est absolument certains, ils s’y connaissent mieux en médecine que moi. Mais jusqu’à preuve du contraire, c’est mon corps, c’est moi qui était enceinte, c’est moi qui allait accoucher. Personne d’autre que moi n’était plus compétent pour comprendre comment je me sentais et pour savoir ce que je voulais. A mes yeux, leur travail c’était de m’accompagner et de m’aider à réaliser une grossesse et un accouchement dans lequel je me sentirai bien, en toute sécurité, et dans le respect de mon intégrité physique.
A priori, nous n’avions pas le même programme.
Une question de charge mentale
Autre problème lié à l’industrialisation : la charge mentale des femmes.
A cette époque, on a demandé aux femmes de se mettre à travailler comme les hommes tout en conservant toutes leurs précédentes charges (foyer, enfants, maternité, etc) mais en leur expliquant bien qu’elles n’étaient pas compétentes pour décider seule.
Les femmes se sont retrouvées à devoir jongler avec un tas d’injonctions non seulement lourdes mais parfois contradictoires.
Dans ce contexte, le fait d’avoir un médecin qui dit « je m’occupe de tout » peut se révéler être un soulagement profond pour la maman. Ainsi, elle n’a plus à prendre la charge mentale de sa grossesse et de son accouchement.
Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes se reposent avec soulagement sur leur sage-femme ou sur le corps médical, leur déléguant le pouvoir de décision en toute confiance, pour pouvoir se délester un peu de leur charge mentale quotidienne. Et je les comprends !
En soi, je trouve cette décision très sage : se reposer sur quelqu’un de compétent pour ne pas avoir à s’épuiser encore plus avec toutes les autres choses qu’elles doivent gérer (travail, finance, foyer, pression sociale, etc)… Franchement, on a bien assez à penser.
Cela ne fonctionne que sur le postulat que le médecin est digne de confiance. Pour cela, il faut être certain qu’il sera en mesure de vous respecter, de vous accompagner et de faire ce qu’il y a de mieux pour vous. Et si c’est souvent le cas, malheureusement ce n’est pas une généralité.
Les défis des mamans face au suivi médical
Aujourd’hui, les mamans doivent souvent affronter plusieurs défis dans leur parcours de maternité. Je parle ici de ceux qui sont courants et communs à toutes les femmes.
Les mamans se trouvent souvent en manque d’information face au suivi gynégologique et obstétrique nécessaire de la grossesse à l’accouchement. Même si internet reste une mine d’informations, il est parfois compliqué de faire le tri entre une information de qualité et une information inutile, voire nuisible.
Ce manque d’information peut provoquer une incertitude, voire une anxiété, face au processus médical qui entoure la maternité, et les mères peuvent attendre de leurs praticiens qu’ils soient en mesure de les rassurer et de les accompagner pour faire face à ces inquiétudes.
De plus, elles peuvent avoir besoin d’un soutien que leur cercle familial n’est peut-être pas en mesure de leur apporter. Pour cela, elles espèrent souvent pouvoir compter sur les professionnels de santé. Si certains remplissent ce rôle, d’autres malheureusement ne le font pas, par manque de temps ou parce qu’ils ne voient pas leur rôle ainsi.
Certaines femmes n’ont que peu de choix dans leur suivi médical. En effet, selon les régions, les ressources médicales sont parfois réduites et obligent les femmes à faire de longues distances ou à prendre par défaut les praticiens qui sont disponibles. Pourtant, le lien de confiance entre le praticien et le patient est une condition importante pour le bon déroulement de la grossesse et de l’accouchement. Le stress maternel est une source importante de complications pendant la grossesse et l’accouchement, et peut même impacter la santé de son enfant.
Face à ces attentes, la relation de confiance entre le professionnel de santé et la patiente est crucial. Il l’est d’autant plus que la maternité est un processus profondément bouleversant pour la femme, dans lequel elle a besoin de trouver des repères solides.
Pourtant, comme nous allons le voir dans le prochain article, cette confiance est parfois mise à mal de façon dramatique.
- Sorcières – Mona Chollet – Éditions La Découverte. (s. d.). https://www.editionsladecouverte.fr/sorcieres-9782355221224