Dans notre série sur l’instinct maternel, j’ai très souvent évoqué le terme de « matrescence ». Qu’est-ce que c’est ? Comment ça marche ? Qu’est-ce que ça entraine ? Comment faire pour gérer ce phénomène ?
C’est parti pour répondre à toutes ces questions ! Une fois encore, il s’agit d’un sujet assez dense. Je le traiterai en plusieurs articles pour que ce soit plus digeste.
Une définition de la matrescence
Dana Raphael invente ce concept au début des années 1970. Mais c’est surtout grâce à Alexandra Sacks qu’on doit sa popularisation depuis les années 2010.
Contraction de « maternité » et « adolescence », la matrescence décrit l’état de transition physique et mentale important par lequel passent toutes les mères au moment de la naissance de leur enfant. Le rapprochement avec l’adolescence permet de mettre en avant tous les changements psychologiques et identitaires qui vont accompagner cette étape.
Pour information, c’est aussi à Dana Raphael que l’on doit la notion de « doula » (1) (accompagnante non médicale pour les mères).
La matrescence, c’est reconnaître que lorsque naît un enfant, une maman vient au monde également. On ne naît pas maman, on le devient au travers d’un processus de transformation complexe et multiple. Celui-ci s’exprime très différemment selon les femmes mais comporte des éléments communs pour chacune. A travers la matrescence, la maman va s’adapter, s’ajuster à son nouveau rôle. Cela nécessitera un travail de développement personnel pour pouvoir s’approprier cette nouvelle identité et tout ce qui en découle.
J’entends par développement personnel le fait de parvenir à se remettre en question, à changer nos points de vue ou nos habitudes, pour s’adapter à une nouvelle circonstance de notre vie. Cela peut être une nouvelle relation, un nouveau travail, une condition médicale, etc.
Aujourd’hui, le développement personnel est devenu une sorte de mode, avec ses codes et ses gourous. Mais ce n’est pas du tout ainsi que je l’entends dans cet article.
Les composantes communes de la matrescence
Selon Alexandra Sacks, il existe plusieurs points clés communs à toutes dans la matrescence :
- l’ambivalence émotionnelle : une mère peut être à la fois traversée par une joie intense et par une grande tristesse. Les deux émotions sont authentiques et sincères, en même temps. Elle veut passer du temps avec son enfant et souhaite en même temps pouvoir être seule. L’expérience de la maternité renferme les deux faces d’une même pièce en même temps, ce qui peut être extrêmement difficile à gérer. En effet, notre société considère l’ambivalence comme de l’indécision ou comme une preuve d’un trouble psychologique. Pourtant, ce phénomène est parfaitement normal lorsqu’on devient maman.
- le bébé fantasmé vs le bébé réel : l’arrivée du bébé n’est pas qu’un moment de joie intense. La maman doit aussi faire le deuil du bébé qu’elle a imaginé pendant la grossesse pour parvenir à accepter le bébé qui est dans ses bras. S’il se passe bien, le lien d’attachement et l’affection maternel émergent immédiatement. Mais dans les cas plus difficiles, cela peut causer de la déception et de la souffrance à la maman. C’est un des éléments du baby blues, par exemple.
- La culpabilité : tout comme pour son bébé, la maman s’est rêvée mère idéale. Elle doit donc faire face à la réalité de sa maternité et de la façon dont elle parvient à gérer les choses. La maman subit cette injonction qu’elle s’inflige à elle-même, ce qui entraine de l’épuisement et une profonde culpabilité.
- la composante transgénérationnelle : la maman est forcément influencée par la façon dont elle-même a été élevée. Ainsi, elle peut chercher à imiter ou à se détacher du modèle qu’elle a vécu. Pour certaines, cela ravive des blessures et douleurs qui n’ont peut-être pas été guéries, voire même qui sont restées inconscientes.
- la compétition : avec l’arrivée de l’enfant, la maman va répartir son attention différemment. Cela peut entraîner une compétition du co-parent et/ou de l’entourage pour se partager cette attention avec le nouveau-né. Par ailleurs, la mère elle-même doit redistribuer l’énergie et l’attention qu’elle s’accordait à elle-même pour y inclure le bébé, ce qui peut provoquer quelques frustrations. Elle se voit confronter à une comparaison entre la vie d’avant son rôle de mère et sa nouvelle vie.
Et le papa dans tout ça ?
Le terme de matrescence pourrait faire croire que seule la maman est concernée. Cependant, en ce qui concerne les bouleversements psychologiques, le père est tout aussi impacté par les éléments que nous venons de lister. Il est important de reconnaître qu’avec la naissance d’un enfant, c’est un « parent » qui naît, quel que soit son genre. Évidemment, l’expérience maternelle est différente de l’expérience paternelle, et elle est subtilement différente pour chaque individu. Mais la transformation n’en est pas moins réelle pour tout le monde.
Dans mon analyse, je vais rester centrée sur l’expérience spécifique des mamans.
Quelques précisions
J’aimerais écarter quelques mythes qui parasitent la compréhension de la matrescence.
Nous avons déjà évoqué le mythe autour de l’instinct maternel dans de précédents articles que je vous invite à consulter si vous ne l’avez pas déjà fait. Nous avons établi que l’instinct maternel n’existe pas en tant que tel, et que les parents doivent s’approprier leurs rôles à travers un apprentissage progressif. Cela implique aussi qu’au début, on ne sait pas tout et on peut se tromper : c’est ok et c’est normal. Comme nous l’avons évoqué dans ces articles, cela veut dire aussi que le sentiment maternel n’est pas obligatoirement instantané, et que ce n’est absolument pas grave. Cela fait partie de la construction de chaque duo parent-enfant, et cela dépend de chacun.
Un autre mythe assez délétère auprès des mamans, et qui a été évoqué dans les composantes de la matrescence, c’est celui de la maman parfaite. Même si l’on voudrait tout savoir faire et tout faire parfaitement pour le bien de nos bébés, personne n’est parfait. Il est très important de s’accorder le droit à l’erreur et le droit d’apprendre son rôle de parent petit à petit. De plus, il n’existe pas un seul modèle unique de parent modèle, nous devons trouver notre propre façon d’habiter ce rôle.
Enfin, il n’existe pas un modèle préférentiel de famille : que la maman soit au foyer, que le papa soit au foyer, que les deux parents travaillent, etc. Chaque forme d’organisation familiale est propre à chaque famille, entraîne des côtés positifs et des côtés négatifs propres. C’est à chaque famille de trouver l’organisation qui lui convient. Le plus important c’est de parvenir à construire une cellule stable et solidaire dans laquelle chacun trouve sa place et son épanouissement.
Les facteurs qui influencent la matrescence
Plusieurs facteurs vont jouer un rôle dans la façon dont cette transformation se déroule.
- les normes sociales et culturelles : plusieurs normes peuvent l’influencer, comme le modèle parental qu’elle a connu, son degré de perfectionnisme et ses attentes par rapport à son propre rôle parental défini par la société. En fonction de celles-ci, la maman va développer des attentes par rapport à la façon dont elle « devrait » se comporter. Cela inclut également la sphère professionnelle d’ailleurs.
- ses attentes personnelles : ses expériences antérieures avec ses propres parents ou des proches qui sont eux-mêmes parents vont avoir un impact. La personnalité et les valeurs de la maman vont également jouer un rôle direct sur la façon dont elle va expérimenter la matrescence.
- l’entourage social : c’est un critère qui peut être significatif dans la matrescence. Il comprend le soutien familial (y compris le ou la partenaire), amical ou communautaire (la société, l’entreprise…). Ces cercles peuvent offrir un soutien très précieux et indispensable durant la matrescence, notamment pour lutter contre la solitude en lui apportant soutien et compréhension.
Prendre conscience de ces facteurs peut aider la maman à prendre du recul sur les normes (sociales ou personnelles) et les attentes multiples autour de son rôle de mère. Cela peut l’encourager à chercher du soutien lorsqu’elle en a besoin, et contribuer à une maternité significativement plus épanouissante et authentique.
En complément de cet article, je vous invite à visionner cette vidéo en anglais d’une conférence TED d’Alexandra Sacks sur le sujet de la matrescence :
Dans le prochain article, nous discuterons des enjeux courants autour de la matrescence (frustrations, incompréhensions, erreurs courantes, etc).
- Corfield, J. (2023, October 31). doula. Encyclopedia Britannica. https://www.britannica.com/topic/doula
Merci beaucoup pour cet article, je travaille avec des futurs parents, pour autant je ne connaissais ce terme et sa signification. Je me reconnais dans tout ce que tu écris sur le changement et les émotions dues à la naissance.
Bonjour et merci à toi pour ton commentaire 🙂
Je suis très heureuse d’avoir pu t’apporter quelque chose d’utile !