Après l’accouchement, beaucoup de mamans réalisent avec surprise que l’accouchement n’est pas la fin, mais le début de quelque chose. C’est la fin de la grossesse, et le début d’une nouvelle vie. Mais c’est surtout le début de ce qu’on appelle le Post-Partum.
Si certains évoquent parfois le Quatrième Trimestre, pour décrire les mois qui suivent l’accouchement, une grande majorité des mamans sous-estiment gravement la complexité de cette période.
Pas tout à fait la même personne
L’un des aspects les plus marquants pour moi, ça a été l’intense fatigue au quotidien. J’y étais mentalement préparée, puisqu’on sait qu’un bébé se réveille la nuit et demande beaucoup d’attention. Mais je n’avais pas compris que mon propre corps serait diminué par la convalescence. Cette fatigue était liée autant à mon nouveau rôle de maman qu’aux épreuves que mon corps avait traversées pendant ces 9 derniers mois et dont il essayait de se remettre.
Mon cerveau n’arrivait pas à s’ajuster à cette nouvelle réalité. J’avais des plans, des projets, des « impératifs ». J’avais prévu de sortir, de faire du sport, de socialiser avec mon enfant. J’avais prévu de continuer mes études à distance, de passer mes examens pendant le 1er mois après mon accouchement (oui, j’étais naïve).
Dans ma tête, j’avais un bébé, certes, mais lorsque il dormait, je pouvais reprendre ma vie d’avant. Quelle immense erreur !
Ayant accouché par césarienne, mon ventre avait été ouvert pendant plus d’une heure pour extraire un enfant. Avant ça, mon corps avait subit d’intenses transformations pendant 9 mois. Parmi ces transformations, mes organes s’étaient déplacés et réorganisés autour d’un utérus hypertrophié pour pouvoir accueillir la vie. En dedans, je n’étais absolument plus la même.
La cicatrice de la césarienne était parcourue de petites agrafes, très esthétiques sous leur pansement, qui me rappelaient sans cesse que mon corps avait subit un acte chirurgical important. Les douleurs qui irradiaient de mon ventre et de mon utérus m’empêchaient de me lever parfois. J’avais mal au dos parce que j’étais mal installée dans mon lit (j’avais pris le pli du lit d’hôpital qui bouge avec une télécommande).
Mon corps était tout simplement épuisé, tout autant que mon esprit. Une fatigue intense et totalement imprévue, pour moi comme pour de nombreuses mamans. Face à cette fatigue, je me suis sentie démunie : comment allais-je pouvoir continuer à vivre normalement dans cet état ? Comment pourrais-je prendre soin de mon enfant ? Je me sentais diminuée, presque handicapée, tant les choses que j’avais prise pour acquises devenaient hors de portée. Tout était immensément plus compliqué et difficile. Cet état d’esprit peut devenir l’un des facteurs d’une dépression post-partum.
La théorie des petites cuillères
Ma première erreur a été de croire que je possédais le même niveau d’énergie qu’avant ma grossesse et mon accouchement. On a tendance à penser que nous sommes « constants », que nous pouvons faire aujourd’hui ce que nous faisions hier. On y place parfois même une forme d’égo : « si je n’y arrive pas, je suis nulle parce qu’avant j’y arrivais ».
Mais que ce soit à cause de notre santé physique ou mentale, à cause des événements de la vie ou simplement de notre âge, notre niveau d’énergie évolue constamment.
La théorie des petites cuillères a profondément transformé ma vision des choses et m’a aidée à me réconcilier avec la nouvelle femme que j’étais devenue.
En 2003, dans son essai « The Spoon Theory », Christine Miserandino, atteinte de lupus, illustre à une amie son énergie disponible dans une journée par une douzaine de cuillères. Chaque cuillère représente une activité accomplie dans la journée. Elle met ainsi en lumière que cette énergie n’est pas illimitée et doit être rationnée pour ne pas être épuisée avant la fin de la journée. Si l’on en vient à dépenser plus de cuillères que le stock disponible, alors on prélève en avance celles de la journée suivante. On risque donc d’en manquer pour le lendemain. La seule façon de refaire son stock, c’est de dormir et de se reposer.
En 2016, Naomi Chainey, rédactrice du Sydney Morning Herald, atteinte du syndrôme de fatigue chronique, souligne que cette théorie peut s’appliquer à toutes les personnes atteintes d’une affection ou d’un trouble mental. Globalement, selon elle, cette théorie peut s’appliquer à tous ceux qui souffrent d’un handicap invisible. Ces personnes sont souvent assimilées à des paresseux, ou des gens qui ne savent plus gérer leur temps. Ce sont des personnes qui souffrent d’une fatigue chronique qui n’est pas habituellement reconnue par les autres.
Un peu comme ces mamans dont on attend qu’elles reçoivent leur famille et leur belle-famille à table, une semaine après l’accouchement, en ayant préparé un festin de roi et en se tapant la vaisselle. Tout cela, alors que leur corps et leur cerveau sont littéralement en convalescence et souffrent d’une fatigue extrême.
Je ne dis pas que la maternité est un handicap : je dis que les jeunes mamans subissent une fatigue mentale et physique immense, et que très souvent, leur entourage et la société leur demande de faire comme si de rien n’était. C’est à la fois extrêmement irréaliste et profondément cruel.
Les petites cuillères d’une maman
Lorsqu’on devient maman, plusieurs choses se passent simultanément :
- Notre stock de cuillère diminue drastiquement. Vous en aviez 12 ? Maintenant c’est 4.
- Le coût d’une tâche augmente de façon personnelle (différente selon chacune). Avant, il ne fallait qu’une cuillère pour cuisiner, maintenant c’est au moins 2.
Cette mise en image avec les cuillères permet d’expliquer concrètement non seulement la fatigue que ressent la maman, mais aussi le coût qu’une tâche apparemment anodine peut avoir pour elle.
Comme je le disais plus haut, quand je suis rentrée chez moi, je pensais reprendre ma petite vie pendant les siestes de mon enfant : réviser mes cours, passer mes examens, me laver, regarder la télé… Mais je n’avais tout simplement plus assez de cuillères et ces tâches étaient devenues beaucoup trop coûteuses pour moi.
Au tout début de mon post-partum, je vous l’avoue, je me suis sentie très très nulle. Je me suis demandée si j’étais devenue stupide. Je me suis demandé comment faisaient ces autres mamans qui semblaient arriver à tout gérer tandis que moi je pleurais au fond de mon lit pour un verre d’eau.
Puis, j’ai découvert des communautés de mamans avec lesquelles j’ai pu échanger en toute transparence. Surprise ! Toutes les mamans à qui j’ai pu parler ont vécu exactement la même chose. Pourquoi on ne le découvrait que maintenant ? C’est fou !
Donc au final, on était nulles toute ensemble. Pas terrible, mais moins dur à avaler quand même.
Et puis, j’ai découvert la théorie des cuillères et tout s’est éclairé : nous n’étions pas nulles, nous étions juste à court de cuillères !
Jongler avec ses petites cuillères
J’aimerais vraiment que toutes les mamans apprennent cette théorie pendant leur grossesse. Qu’elles puissent comprendre qu’après l’accouchement, quand elles seront en convalescence et en charge de leur nouveau petit trésor, elles se sentiront débordées et que c’est normal.
Je voudrais que ces petites cuillères les aident à avoir une plus grande bienveillance envers elles-mêmes. J’aimerais qu’elles ne se sentent jamais aussi démunies et aussi nulles que moi, dans mes premiers temps de maman.
Je souhaite qu’elles chérissent les petites cuillères qui leur reste, et qu’elles apprennent à les utiliser pour les choses qui comptent. J’aimerais que les partenaires apprennent à garder quelques unes de leurs cuillères pour aider les mamans, le temps que leur stock remonte. Parce que oui, ça remonte progressivement, je vous le promets ! Le post-partum est un état transitoire, contrairement aux troubles mentaux auxquels on associe généralement cette théorie. Mais ça demande du temps.
Plus tôt on aide la maman, et plus vite elle a des chances de pouvoir à nouveau augmenter son stock.
Plus tôt on aide la maman, et moins elle a de chance de détériorer sa santé mentale et physique, sur le court et le long terme.
J’aimerais que l’entourage accepte de comprendre que l’arrivée d’un enfant demande à ce que chacun partage ses cuillères pour prendre soin de la mère et de l’enfant. Oui, les deux, pas que le bébé.
J’aimerais que ces petites cuillères permettent aux mamans d’exprimer plus franchement leur fatigue et leurs besoins auprès de leur entourage. Que vous puissiez dire qu’un repas en famille, c’est environ 20 cuillères et que vous ne les avez pas, mais que si chacun met 3 cuillères, ça change tout.
Chères mamans, j’espère que cet article vous aidera à vous observer avec plus de bienveillance. Car avec moins de cuillères que les autres, vous prenez soin d’un nouveau-né. Vous répondez à chaque instant aux impératifs de survie d’un être qui dépend totalement de vous. C’est une responsabilité immense qui peut donner le vertige. Et pourtant, vous êtes là, avec amour et dévouement. Malgré votre corps en convalescence et votre esprit en pleine révolution de la matrescence.
Chères mamans, vous êtes extraordinaires !
Merci pour cet article très touchant. Je ne connaissais pas la théorie de la cuillère et je trouve que ça illustre concrètement la notion de « charge mentale » et l’importance de prendre soin de soi.
Merci Elise pour ce commentaire ! Je suis vraiment heureuse d’entendre que cet article a été instructif et utile 🙂
Merci pour cette découverte. J’accompagne les jeunes mamans et les jeunes parents et j’avoue que je ne connaissais pas cette théorie. Effectivement les jeunes mamans ne devraient pas ressentit se sentit « nulle » même si ce post-partum est une transition entre deux tranches de vie. Merci pour ton article !
Merci pour le commentaire Dominique, je suis vraiment ravie que cet article ait pu te faire découvrir quelque chose d’utile dans ton activité 🙂