Que vous soyez parent ou non, vous avez déjà pu observer la scène d’une mère qui perd son sang froid et hausse la voix sur l’un de ses enfants. Peut-être l’a-t-elle pris violemment par le bras pour le faire avancer. Peut-être avez-vous observé ce genre de scène sur un réseau social en secouant la tête d’un air sagement offensé. Peut-être, en tant que femme ou mère, vous êtes-vous juré que jamais ça ne vous arriverait à vous. Jamais.
Et pourtant, pendant que vous jugez cette femme sans connaître d’elle autre chose que ces quelques instants, elle traverse un instant douloureux qu’elle-même n’aurait probablement jamais imaginé vivre. Elle a probablement aussi jugé d’autres mères avant de vivre ce moment. Elle ressent probablement une honte aussi forte que votre désapprobation. Pourtant, cette maman est la victime invisible de ce qu’il vient de se passer, de ce « Mom Rage ».
Parlons-en ensemble aujourd’hui.
Une crise de colère maternelle ou « Mom Rage », c’est quoi ?
Il arrive qu’on confonde la colère avec la crise de colère. J’ai choisi de traduire le « Mom Rage » par « crise de colère » parce qu’en français, la rage n’a pas forcément la même signification ni connotation. Cependant, dans le mot « crise », il y a un concept fondamental qui est la perte de contrôle.
Lorsqu’une crise de colère nous secoue, ce n’est jamais quelque chose de prémédité. C’est quelque chose de brutal, de soudain, d’extrême et généralement d’involontaire. C’est une perte de contrôle soudaine et violente de nos émotions et de nos réactions. C’est une blessure purulente qu’on a laissé s’infecter trop longtemps et qui d’un coup nous pète à la figure, sans qu’on sache bien pourquoi et comment c’est possible.
C’est un moment douloureux de perte de contrôle de soi, qui mène malheureusement trop souvent à la honte ou à la culpabilité. Pourtant, les premières victimes de ces crises, ce sont surtout les mamans elles-mêmes.
Ce terme est apparu de façon empirique, spontanée, pour mettre des mots sur quelque chose qui était universellement vécu par les mamans. Il ne s’agit pas de les pointer du doigt et de simplement écarter le problème : « Ah voilà, c’est un ‘Mom Rage’, elle a juste pété les plombs, comme toutes les mamans ». Il ne s’agit pas non plus de dire que les mères sont moins émotionnellement équilibrées que les pères (on ne parle pas de « Dad Rage » et il y a de bonnes raisons pour ça!)
Au contraire, mettre un nom sur ces crises de colère, sur ces pétages de plomb, c’est reconnaître leur existence, leur gravité et se donner une chance de reconnaître ce signal d’alarme et de faire le nécessaire pour soigner la blessure sous-jacente.
Le fait que la crise de colère maternelle ne soit pas partagée par les deux parents n’est absolument pas anodine. Évidemment, les pères aussi ressentent des frustrations et de la colère, mais le phénomène de crise de colère, d’explosion de colère incontrôlable est tellement typiquement observé chez les mères qu’il a pris le nom de « Mom Rage ».
Il y a plusieurs facteurs qui vont venir alimenter petit à petit le mal-être émotionnel des mères jusqu’à les pousser au « Mom Rage ». Mais avant cela, parlons un peu de la colère. Car une crise de colère, c’est une colère qui n’a pas été prise en compte. Comment en arrive-t-on là ?
La colère de la mère : un tabou dans notre société
Notre société actuelle a tendance à diaboliser la colère elle-même, qui est pourtant une émotion aussi légitime que toutes les autres. La colère nous renseigne sur un besoin fondamental, qui est en général la révolte face à une situation qui ne nous convient pas ou qui nous blesse. Lorsque la colère nous traverse, il est important de comprendre ce qui la provoque et, lorsque c’est possible, de faire en sorte de résoudre la cause de cette colère.
Il est tout à fait utile de se tourner vers des outils de gestion des émotions pour s’aider à traverser cette émotion difficile.
Pourtant, aujourd’hui, un peu partout on nous explique que la colère est malsaine, qu’elle est « violente » envers autrui. La colère est devenue tabou, à tel point qu’aujourd’hui, on est mal à l’aise face à elle et souvent démuni, que ce soit nous ou une autre personne qui l’éprouve.
L’image de la femme moderne semble incompatible avec la colère, dans l’imaginaire collectif occidental. La femme – et la féminité – est souvent associée au dialogue, à la douceur, à la tendresse, à la séduction, voire à la manipulation, aux émotions, aux couleurs pastel… Il y a bien des modèles de femmes fortes, mais elles sont souvent érigées comme des rebelles, des « exceptions » au lieu d’être vues pour ce qu’elles sont : des femmes réelles, qui vivent en dehors des limites des clichés vieux de plusieurs siècles.
Très souvent, on voit la colère masculine comme une preuve de force et d’autorité, tandis que la colère féminine est vue comme une perte de contrôle de ses émotions, une perte de rationalité et de crédibilité. On pourrait croire que ces clichés sont dépassés, mais ils sont pourtant fermement présents aujourd’hui encore, dans nos familles, dans nos milieux professionnels. Une femme qui veut avoir de la crédibilité ne peut pas se permettre de perdre son sang froid, peu importe qu’elle soit dans son bon droit de ressentir et d’exprimer de la colère.
Dans le cas d’une mère, c’est encore pire ! Une maman en colère, c’est une mère indigne, instable, voire « dangereuse ». Lorsqu’une mère hausse la voix ou crie sur ses enfants, combien vont juger la mère et plaindre les enfants ? Sur le simple constat d’une situation ponctuelle, d’un moment furtif, sans avoir connaissance de tout ce qu’il peut bien se passer avant, elle est jugée coupable. Peu importe les trésors de patience, d’amour, de pédagogie, de tendresse qu’elle a pu épuiser au fil des jours, des semaines, des mois, des années. Peu importe les larmes de détresse, de panique, de fatigue qu’elle a pu verser. Peu importe toutes les couleuvres qu’elle a essayé d’avaler pour ne pas céder à cette honteuse colère… A ce moment-là, devant ces témoins inconnus, c’est elle la coupable, la mère indigne qui a cédé à l’immonde colère.
C’est d’autant plus cruel et visible sur les réseaux sociaux. Ces jugements à l’emporte-pièce pétris de moralisme et d’idéaux – issus de la parentalité positive et des résultats des recherches scientifiques sur les besoins des enfants – rendent la colère maternelle inacceptable, moche, coupable.
Je ne critique pas en soi les avancées scientifiques et les volontés d’élever nos enfants dans un environnement plus sain et plus bienveillant, au contraire : je veux moi-même donner le meilleur à mon enfant, comme la majorité des mamans. Mais est-ce vraiment une éducation bienveillante si on se retrouve à être violent envers les mères elle-mêmes ? Je crois qu’il est plus que temps de se poser cette question…
Mais alors que devient cette colère qu’on n’a plus le droit d’éprouver et d’exprimer ? On la stock, on la cache, on essaie de jouer le rôle de la personne qui ne perd jamais son calme et qui vole au dessus des contrariétés avec la maîtrise souveraine de Bouddha.
Et un jour, un petit truc va rajouter la petite goutte d’eau qui fera exploser le vase de colère qu’on a soigneusement chouchouté et rempli. Un jour, c’est la crise de colère et on explose.
Pourquoi parle-t-on de crise de colère maternelle et non parentale ?
Au-delà du tabou de la colère que nous avons évoqué, il existe d’autres facteurs qui justifient la non parité de ce phénomène. Du fait de notre environnement culturel et de la structure de notre société, les femmes subissent plusieurs pressions qui vont clairement jouer le rôle de carburant dans ces crises de colère.
Face à l’inégalité de la perception de la colère entre les hommes et les femmes, et spécifiquement les mères, celles-ci sont souvent encouragées indirectement au déni. Puisque la colère est mal vue, il n’est pas envisageable d’être en colère. Donc dès qu’un petit élan de cette émotion apparaît, on l’écrase, on la cache, on la refuse. Le déni est un des facteurs clé de la crise de colère, puisque c’est l’accumulation d’une émotion négative qui finit par créer le trop plein et la perte de contrôle. Comme nous l’avons déjà évoqué, toute émotion est le signal d’alarme d’un besoin non satisfait. Refuser d’écouter cette alarme, c’est obliger notre mental et/ou notre corps à augmenter le signal jusqu’à ce qu’on s’occupe du problème. Avec nos émotions comme avec n’importe quel autre sujet, ignorer le problème ne le fait pas disparaître et ne le résout pas par magie, malheureusement.
Face à ce déni, la femme peut se sentir envahie d’un sentiment d’injustice. Pourquoi doit-elle prendre sur elle alors que le papa n’a pas besoin de subir autant de charge mentale ? Inutile de se voiler la face, de nos jours, les tâches ménagères sont encore largement assumées par les femmes, quand bien même elles occupent des postes aussi énergivores que les hommes (en France 71% des tâches ménagères assumées par les femmes selon l’IFOP (1)). De la même façon, les soins apportés aux enfants sont encore largement portés par la femme (les femmes passent en moyenne 3 fois plus de temps que les hommes dans les tâches parentales selon le Ministère de la Santé (2)).
Face à cette situation, comment ne pas se sentir injustement contrainte par la société ? Non seulement la charge mentale est supérieure, mais en plus on a pas le droit de se sentir en colère et de se révolter face à cette situation ? Faut pas pousser !
Le sentiment d’impuissance est également un facteur important dans les crises de colère. Face à la pression sociale, culturelle, économique autour de la maternité, et aux inégalités manifestes entre les parents mais aussi entre les personnes avec ou sans enfants (indice de 5,2 de charge mentale professionnelle contre 4,7 chez les femmes sans enfants selon une étude du cabinet BCG (3)), comment ne pas se sentir dépassée ?
Comment faire face à une crise de colère ?
Nous avons partagé le fait que ces crises étaient notamment dues à l’accumulation de colère réprimée et non adressée. Mais au moment de la crise, il est déjà trop tard pour y remédier.
La toute première chose à faire, c’est de ne pas nourrir de culpabilité ou de honte. Soyons honnête : ce n’est pas confortable de subir une crise, de hurler sur ses enfants qu’on aime plus que tout. C’est vraiment horrible d’être en public et de voir le jugement silencieux dans les yeux des spectateurs du moment. Alors pourquoi s’infliger la double peine en portant en plus un sentiment de culpabilité, alors qu’on est soi-même la victime première de cette crise ?
Je vous invite à la bienveillance. Observez-vous comme vous observeriez une amie à vous à bout de nerf, épuisée, anxieuse, dépassée, qui fond en larmes devant vous. La crise de colère, bien que plus explosive et démonstrative, c’est la même chose : c’est un appel à l’aide désespéré d’être entendue, considérée, écoutée. Alors avant toute chose, écoutez-vous. Acceptez-vous. Si vous n’y arrivez pas seule, n’hésitez pas à vous faire aider : que ce soit auprès de professionnels ou d’associations, il existe des numéros d’écoutes gratuits destinés aux mamans (Maman Blues) et des lieux d’accueils pour vous écouter. Ne restez pas seule avec votre culpabilité, et laissez-la partir.
Lorsque vous aurez fait la paix avec votre explosion de colère, pensez également à vous excuser auprès de ceux qui l’ont subie. Vos enfants, vos proches peut-être… expliquez-leur que ce n’était absolument pas votre volonté et que vous regrettez, mais que vous avez atteint les limites de ce que vous pouviez gérer et que maintenant vous allez avoir besoin d’aide et de soutien pour aller mieux. Encore une fois, n’essayez pas de gérer cela seule dans votre coin. N’oubliez pas que c’est le meilleur moyen de nourrir les sentiments d’impuissance et d’injustice, mais aussi la solitude. Si vous avez besoin de vous sentir entourée, ne le négligez pas.
Enfin, lorsque vous serez plus apaisée et suffisamment en sécurité émotionnellement pour le faire, il sera temps d’observer toutes les colères que vous avez refoulées et d’essayer de comprendre leur origine. Voici quelques exemples de questions pour vous y aider (liste non exhaustive) :
- Qu’est-ce qui fait que je me sens dépassée ?
- Qu’est-ce qui fait que je me sens plus calme, que je me ressource ?
- Qu’est-ce que je peux contrôler ? Qu’est-ce qui échappe à mon contrôle ?
- Pourquoi je ne m’autorise pas à ressentir la colère ?
- Est-ce que je m’accroche à l’idée utopique d’une mère toujours calme/zen ?
- Est-ce que je me sens soutenue ? Est-ce que j’ai l’impression d’être seule face la situation ?
- Est-ce que je fais des choses contre mon gré ? Est-ce que je m’auto-sabote ?
Là encore, je vous invite si vous le voulez à vous faire accompagner par une personne compétente dans cette introspection. Adresser les problèmes derrière la colère est l’unique solution pour éviter que la crise ne reparaisse.
Prendre soin de nos émotions, c’est la clé d’une relation plus sereine et épanouie avec nous-même et avec les autres. Dans notre rôle de maman, nous penons souvent soin de notre relation avec notre enfant au détriment de tout le reste, y compris notre relation à nous-même. Et cette déconnexion ne peut qu’amener à créer des situations de malaise émotionnel, voire même de crise.
J’espère sincèrement que cet article vous aura encouragée à prendre soin de votre santé mentale et à écouter vos émotions. Qu’en avez-vous pensé ? Comment arrivez-vous à gérer votre colère ? Avez-vous déjà vécu un « Mom Rage » ? N’hésitez pas à partager vos expériences et vos avis dans les commentaires:)
Merci pour cet article sur un sujet effectivement tabou. Prendre soin de soi, s’observer et pratiquer la bienveillance envers soi-même sont effectivement des clés pour balayer petit à petit la culpabilité.
Merci beaucoup pour ton commentaire ! J’espère que ce genre d’article aidera à lever le tabou sur ce sujet, car plus on en parle, et mieux on pourra aider celles qui le traversent. C’est mon souhait.
Merci pour cet article qui m’a fait connaître le Mom Rage. Cela m’est arrivé une fois avec mon fils (il est grand maintenant) hurlant de colère parce qu’il voulait un jouet… j’étais partagée entre colère / culpabilité / honte et les regards culpabilisants des autres n’arrangeaient rien.
Merci de m’avoir lue et merci pour ce commentaire 🙂 Je suis vraiment contente si mon blog peut aider à partager ces notions et à lutter contre la culpabilité maternelle, souvent sans fondement. Bon courage pour ton défi de 52 jours de ton côté 😉