mother going crazy with small children at home
Vie de famille

Les dérives autour de l’éducation bienveillante

Dans mon précédent article, j’ai partagé avec vous les notions de bases de ce qu’est l’éducation bienveillante, de son application dans le quotidien et des ressources pour vous aider à aller plus loin. Cependant, même si nous sommes très nombreux à être convaincus de ses bienfaits tant sur nos enfants que sur l’équilibre familial en général, tout n’est pas tout rose au pays de l’éducation bienveillante. Sur les réseaux sociaux, à cause de la pression du paraître ou la pression sociale, par le besoin perfectionniste de trop bien faire ou de s’opposer aux méthodes précédentes… On observe de nombreuses dérives qui viennent malheureusement dénaturer le message initial et les fondements de l’éducation bienveillante, avec parfois de terribles conséquences sur les enfants et sur les parents eux-mêmes.

C’est ce dont nous allons parler aujourd’hui dans cet article.

L’idéalisation de l’éducation bienveillante

mother lifting her baby
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Nous avons vu dans le précédent article les fondements et les objectifs de l’éducation bienveillante. Et en vérité, qui peut sincèrement s’opposer à une éducation qui prône non seulement la bienveillance, mais l’épanouissement de l’enfant ? La promesse de l’éducation bienveillante réside dans une ambiance familiale sereine, sans pleurs, sans conflits, sans cris ni punitions… Le rêve de tout parent, non ?

Mais est-ce vraiment la promesse de l’éducation bienveillante ou une vision idéalisée des attentes parentales ? Existe-t-il vraiment une méthode permettant de bannir définitivement les conflits ? Existe-t-il des parents parfaits capables de ne jamais céder à la frustration ou la colère ? Existe-t-il des enfants qui ne font jamais de crises de larmes ou de colère ?

Une illusion qui condamne à l’échec

Quelle que soit la méthode, prétendre qu’il est possible de s’affranchir de ces réalités est un leurre. Tous les enfants vont passer par des périodes de frustration. Tous les parents vont devoir dépenser beaucoup de temps et d’énergie dans leur travail d’éducation.

En tant qu’adulte, nous avons intimement intégré les règles de fonctionnement de la société et notre culture familiale. Nous ne nous en rendons plus compte, mais nous obéissons à des contraintes extérieures à nos besoins propres.

Par exemple, nous nous sommes soumis au contrôle du temps : nous mettons des réveils pour ne pas être en retard, nous prenons des rendez-vous, nous fixons des heures pour les repas etc. Cette réalité temporelle n’a aucun sens pour un enfant, et ne correspond pas à un besoin naturel chez l’être humain. Elle correspond à un besoin sociétal d’organiser les individus autour d’un fonctionnement communautaire commun. Nous ne naissons pas avec, nous l’acquérons avec l’apprentissage et l’expérience.

Il est très fréquent que les parents soient frustrés par le fait que leurs enfants ne respectent pas la contrainte horaire : pourquoi faut-il qu’il mette autant de temps à trouver ses chaussures ? Pourquoi ne peut-il pas dormir avant 20h comme tout le monde ? La réponse est simple : parce que c’est un enfant, qu’il n’a pas encore acquis les normes sociales que vous estimez comme « normales » et qu’il doit les apprendre, comme le reste, avec du temps et surtout avec votre aide.

Il existe des montagnes d’exemples comme celui-ci, et lorsqu’on regarde les choses à travers les yeux neufs d’un enfant, on se rend compte de l’absurdité de certaines de nos attentes à leur égard. Nous voudrions que nos enfants s’adaptent naturellement, facilement à toutes ces contraintes qui n’ont aucun sens vis-à-vis de leurs besoins naturels (physiques, psychologiques, émotionnels, relationnels), et nous nous agaçons lorsque ce n’est pas le cas (c’est-à-dire très souvent surtout durant les cinq premières années). Pourtant, nous avons du mal à reconnaître la légitimité de leur agacement face à notre entêtement à vouloir leur imposer des règles qu’ils ne connaissent pas et ne comprennent pas.

Penser que l’éducation bienveillante va permettre de supprimer cette frustration, c’est voir la situation à l’envers et se condamner à une sacrée désillusion. La frustration de l’enfant est tout ce qu’il y a de plus normale et légitime dans ces situations. L’éducation bienveillante doit nous permettre de l’accompagner avec douceur et pédagogie pour qu’il arrive à gérer cette frustration et petit à petit acquérir les normes qui lui permettront de vivre en société.

Bienveillance et laxisme ne sont pas synonymes

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D’un autre côté, certains enfants peuvent tomber dans la manipulation lorsqu’ils constatent que leurs parents refusent le conflit et peinent à s’imposer avec bienveillance. L’un des principaux reproches que l’on adresse d’ailleurs à l’éducation bienveillante, c’est de créer une génération d’enfants-rois.

Mais ne l’oublions pas : être bienveillant, c’est vouloir le meilleur pour son enfant, lui donner les outils pour qu’il puisse s’épanouir en tant qu’individu et en tant que membre de la communauté à laquelle il appartient. C’est le contraire du laxisme. Savoir être ferme fait totalement partie des devoirs d’un parent, quelque soit le modèle éducatif choisi. Cependant, être ferme et être violent sont deux choses très distinctes et c’est ce que l’éducation bienveillante souhaite mettre en avant.

Le défi consiste à gérer ses émotions d’adultes (frustration, colère, etc), à rester ferme dans notre rôle d’éducateur tout en continuant à respecter l’enfant et ses besoins, et à prendre soin de notre relation avec lui. Sans cela, non seulement l’enfant grandit sans bases solides et sans acquérir les outils dont il a besoin, mais les parents peuvent aussi faire face à une situation à la fois épuisante et totalement hors de contrôle. C’est le contraire de la bienveillance, tant à l’égard de l’enfant qu’à celui des parents.

Car n’oublions pas qu’éduquer un enfant demande des efforts et une énergie considérables de la part des parents. L’un des objectifs de l’éducation bienveillante, c’est de réduire ces efforts en adoptant une relation de coopération et de collaboration avec l’enfant.

L’éducation bienveillante et l’héritage familial

Des conséquences néfastes de l’autorité parentale

La position d’autorité peut sembler plus facile et plus efficace, mais les rapports de force ont un inconvénient majeur : ils ne fonctionnent que dans une spirale croissante permanente. Face à la force, il y aura de la résistance. Face à la résistance, il ne reste plus qu’une seule solution : augmenter la force. Ainsi, le parent va devenir de plus en plus dur, de plus en plus sévère dans l’espoir que l’enfant cède et obéisse. Mais cela ne fonctionne que tant que l’enfant ne peut pas résister. Qu’advient-il lorsque l’enfant est en mesure de résister ? Le rapport de force s’inverse, parfois très violemment. L’enfant peut choisir de fuir, de s’extraire du rapport de force. Mais il peut aussi choisir d’exercer à son tour le pouvoir d’autorité qu’il a subit. Il peut choisir de l’exercer sur ses parents, mais peut-être aussi sur son ou sa partenaire, sur ses futurs enfants, etc. Par ailleurs, le fait d’être dans une lutte de pouvoir est extrêmement coûteux en énergie et émotionnellement épuisant pour tout le monde.

Dans le pire des cas, l’enfant intègre l’idée qu’il ne pourra jamais se défendre et devient totalement soumis. Il deviendra alors très probablement un adulte démuni et fragile, qui aura du mal à faire face aux défis de la vie et de la société, et n’aura pas appris à construire des relations équilibrées et saines avec autrui. Dans tous les cas, le rapport de force ne donne absolument jamais lieu à une relation saine, et peut avoir des conséquences qui dépassent la relation parent-enfant.

La douleur en héritage

père gronde son enfant

L’une des raisons d’être des rapports de force, c’est très souvent la reproduction d’un schéma d’autorité que l’on a soi-même subi.

Il est encore trop fréquent d’entendre dire « j’ai été élevé comme ça, je n’en suis pas mort(e) ». Certes, et encore heureux ! Mais cette phrase me paraît extrêmement choquante et triste. Est-ce à dire que le rôle de parent consiste uniquement à ne pas tuer son enfant ? Est-ce que cela signifie que le but de la vie, c’est de survivre ? Est-ce que, parce que nous n’en sommes pas morts, cela signifie que nous sommes indemnes ? Absolument pas ! Les blessures sont réelles, physiques et mentales. Et elles marquent notre vie aussi bien que celles de notre entourage.

Est-ce que, parce qu’on n’est pas mort de nos propres blessures, cela signifie qu’on a le droit de les infliger à autrui ? Et si nous n’avons pas eu droit à la bienveillance dont nous avions besoin, doit-on en priver nos enfants ?

Je ne suis pas en train d’émettre de jugement : chaque individu possède son propre parcours, ses joies et ses peines, ses blessures et ses victoires. Nous vivons tous avec notre lot d’expériences qui ont contribué à nous construire. Nos parents nous ont élevés, dans la très grande majorité, avec amour, et en faisant de leur mieux avec les consignes et les connaissances qu’ils avaient à leur disposition. Pour autant, je crois qu’il est important de s’accorder le droit de reconnaître nos blessures, mais aussi le droit de faire de notre mieux avec les nouvelles connaissances auxquelles nous avons accès aujourd’hui. Et cela inclut l’éducation bienveillante.

L’éducation bienveillante : l’est-elle aussi pour les parents ?

J’en arrive au point qui me touche personnellement le plus.

Car au fil de cet article, vous l’aurez peut-être remarqué, l’éducation bienveillante en demande beaucoup (trop?) aux parents. Il faut accepter ses propres fragilités, ses blessures, remettre en question son héritage éducatif, apprendre à gérer ses émotions, poser des limites mais rester bienveillant, etc etc.

Quelle place reste-t-il alors pour que le parent puisse, lui aussi, s’épanouir ? Est-il désormais l’esclave d’une méthode qui place l’enfant au centre de tout et qui l’enjoint à s’oublier de peur de traumatiser à jamais cet enfant ?

Le mirage des réseaux sociaux

Lorsqu’on observe les réseaux sociaux, la question se pose vraiment à mes yeux. Je suis parfois choquée par les propos qu’on peut y lire, sous le couvert d’une éducation bienveillante et de l’épanouissement des enfants.

Ainsi, par exemple, il devient parfaitement criminel de laisser pleurer un enfant selon certains influenceurs « spécialistes » de l’éducation bienveillante, sous le prétexte que lorsque l’enfant est stressé, il produit de la cortisol, et que cela peut modifier la structure de son cerveau et donc son développement.

La science a en effet prouvé qu’un stress important et prolongé pouvait induire une production de cortisol pouvant produire des dommages sur le cerveau. Mais on parle là d’une situation de stress important et prolongé ! La science a également prouvé que les pleurs d’un enfant servaient notamment à faire baisser le stress, car il évacue physiquement la cortisol par les larmes… Alors que faire ?

La bonne réponse c’est : ce que vous pouvez ! Évidemment, il est mieux d’éviter que l’enfant ne pleure trop longtemps et trop souvent sans être accompagné d’un parent. Un enfant en pleurs se calmera bien plus vite s’il est bercé contre un de ses parents, car les pleurs restent avant tout un appel à l’aide en premier lieu, dans la mesure où l’enfant n’a aucun moyen de gérer lui-même ses propres besoins.

Mais d’un autre côté, sauter sur l’enfant au moindre pleur peut l’empêcher de construire son autonomie et d’apprendre à gérer ses émotions. Parfois, l’enfant peut émettre ce qu’on appelle des pleurs d’endormissement, c’est-à-dire des bruits qui lui permettent de se bercer lui-même et de se calmer. Ces pleurs sont très distincts et facilement reconnaissables, et l’enfant en a besoin pour s’apaiser. Il existe aussi ce qu’on appelle les pleurs de décharges, qui sont le meilleur moyen pour l’enfant d’expulser le trop plein d’émotions ou de stimulation vécues dans la journée pour atteindre un état de calme suffisant pour s’endormir. Pour éviter les pleurs de décharges, la meilleure solution reste encore de limiter les stimulations en journée. Mais lorsqu’ils sont déjà là, il n’y a rien à faire que de laisser votre enfant évacuer son stress et l’accompagner en le berçant en attendant qu’il s’apaise. Vouloir l’empêcher de pleurer et de libérer son stress est contre productif à ce stade.

Comme vous le voyer, pleurer en soi n’est pas toujours une mauvaise chose. Mais il revient au parent d’être présent et de savoir comment les accompagner.

L’éducation bienveillante a besoin d’un parent qui va bien

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Dans tout cela, il ne faut pas oublier les parents ! Car s’il est important d’accompagner les pleurs de l’enfant, il faut aussi que les parents soient en mesure de le faire.

Avez-vous entendu parler du syndrome du bébé secoué ?

Je ne souhaite pas ici rentrer en détail dans les conséquences graves que cela peut avoir pour l’enfant et son développement cérébral, mais plutôt sur les causes. En effet, la principale raison d’être de ce syndrome, c’est le raz-le-bol parental. Aussi cruel que cela peut paraître, les pleurs d’un enfant peuvent conduire les parents à une fatigue mentale et une détresse extrême. Dans ces moments-là, le parent peut totalement perdre patience, perdre le contrôle de soi, et secouer l’enfant pour le faire taire à tout prix.

Cet acte est très rarement prémédité. Il est extrêmement grave et lourd de conséquence pour le bébé. Mais lorsqu’il arrive, c’est très souvent lorsque le parent est face à un épuisement mental extrême. Cela signifie qu’à force de s’oublier dans le soin de l’enfant, il arrive un moment où les limites de sa tolérance sont franchies et les digues sautes.

Ce que je comprends avant tout, c’est que si le parent en arrive là, c’est qu’il n’a pas pu prendre soin de lui suffisamment pour s’écouter, pour se reposer, et pouvoir être le parent attentif et disponible qu’il souhaite être pour son enfant. Il y a deux types de parents qui peuvent tomber dans ce phénomène : les parents qui n’ont aucune patience, et les parents qui ont épuisé toute leur patience. Dans le second cas, tout le drame autour des bébés secoué serait potentiellement évitable si l’on aidait les parents à prendre également soin d’eux et à ne pas s’oublier dans leur rôle de parents.

Dans le cas précis des pleurs, il est recommandé par l’éducation bienveillante de ne pas laisser l’enfant pleurer seul. Cependant, si en tant que parent on se sent épuisé, au bord des nerfs, dépassé par la situation, il est urgent de se mettre en retrait. Il est temps alors de demander un relais si c’est possible. Et si ce n’est pas possible, alors il faut accepter de laisser pleurer l’enfant le temps de parvenir à retrouver son calme. Car quel est le plus grand danger pour l’enfant ? Pleurer ou subir des éventuels dommages cérébraux irréparables à cause d’un mouvement de colère hors de contrôle ?

N’oublions pas que nos enfants sont très résilients et que ce n’est pas une soirée un peu moins bien gérée qui les fera douter de votre amour inconditionnel, ou qui ruinera la confiance qu’ils vous portent. Toutes les clés de l’attachement et du développement de l’enfant se jouent sur le long terme : alors prenez soin de vous autant que de votre enfant, car il vous faudra à tous tenir la route pendant de longues années, ensemble. Soyez tolérants et bienveillants envers vous autant qu’envers votre enfant : vous allez vous tromper, vous allez craquer, et c’est normal. Personne ne vous demande d’être un parent parfait, simplement de faire ce que vous pouvez.

J’ajoute également que voir son parent trébucher et observer comment il réussit à se relever fait partie des meilleurs apprentissages de la gestion des émotions pour un enfant. C’est inspirant et motivant.

Conclusion

Cet exemple du syndrome des bébés secoué est évidemment extrême, mais il illustre pour moi à quel point il est important de ne pas s’oublier dans notre rôle de parent. Nous voulons évidemment donner le meilleur à nos enfants, et c’est pourquoi certains d’entre nous se tournent vers l’éducation bienveillante. Mais n’oublions jamais qu’avant tout, nos enfants ont besoins de parents qui vont bien.

J’ai tenté également d’illustrer et de partager avec vous mes connaissances autour des différentes critiques qui sont régulièrement faites autour de l’éducation bienveillante, à savoir le laxisme, la création d’enfants-rois ou encore l’absence de limites et le perfectionnisme poussé à l’extrême au détriment des parents. Je ne soulignerai jamais assez combien ces dérives ne sont pas du tout des éléments de l’éducation bienveillante, mais des dérives liées à des interprétations parfois extrême ou simplement de la méconnaissance des principes de base qui fondent l’éducation bienveillante. Ces principes tirent leurs racines dans les connaissances neuropsychologiques du fonctionnement des enfants et de leurs apprentissage, pour en tirer le meilleur profit non seulement pour eux, mais aussi pour toute la famille. Créer des relations harmonieuses et riches avec nos enfants, c’est aussi l’occasion de vivre une vie de famille épanouie et joyeuse. Et n’est-ce pas là tout ce que l’on peut souhaiter ?

J’espère que cet série d’article sur l’éducation bienveillante vous aura plu. Qu’en avez-vous pensé ? Quelle est votre expérience avec l’éducation bienveillante ? Quelles sont vos victoires et vos difficultés ? N’hésitez pas à partager vos témoignages et avis en commentaires ! 🙂

Si vous avez aimé cet article, n'hésitez pas à le partager ! ;-)

2 commentaire

  1. Tellement d’accord avec cet article. Merci pour ce partage de connaissances.

    1. Merci pour ce commentaire ! Je suis heureuse de constater que je ne suis pas là seule à faire cette analyse 🙂

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