« Profite, ça passe vite” : pourquoi cette phrase culpabilise tant les jeunes mamans
Tu viens d’accoucher.
Tu es encore en legging de grossesse parce que rien d’autre ne ferme. Ton café est froid depuis 40 minutes. Tu essaies de bercer ton bébé qui refuse de dormir ailleurs que sur toi, ton épaule est en feu, ta césarienne (ou ton périnée tout neuf) te lance encore, tu n’as pas pris de vraie douche depuis… honnêtement tu as perdu le compte.
Et là, quelqu’un te dit doucement : “Profite, ça passe vite.”
En surface, c’est tendre. C’est censé être un rappel d’amour, un “savoure chaque seconde, ce sont les plus beaux moments de ta vie”. Mais ce que tu entends, toi, à l’intérieur, c’est plutôt :
→ “Si tu n’en profites pas, tu vas le regretter.”
→ “Si tu es fatiguée au lieu d’être comblée, c’est que tu rates quelque chose.”
→ “Si tu n’aimes pas chaque minute, tu es déjà en train d’échouer.”
Bienvenue dans l’une des grandes sources de culpabilité des jeunes mamans. Parce que la vérité, c’est que le post-partum n’est pas (uniquement) un cocon rose poudré. C’est aussi :
- des nuits hachées où tu dors par tranches de 47 minutes ;
- des hormones qui font du yo-yo émotionnel ;
- un corps qui récupère d’un accouchement réel, pas d’une pub pour du lin lavé ;
- des pensées qui peuvent aller du “je l’aime tellement que ça me fait peur” à “je n’y arrive pas, je vais exploser”.
Et ça, ce n’est pas toi qui exagères.
Les chiffres sont clairs : jusqu’à 70 à 80 % des jeunes mères traversent ce qu’on appelle le “baby blues” dans les premiers jours après l’accouchement — irritabilité, larmes faciles, anxiété, sensation d’être submergée — avant que ça ne retombe progressivement. (Mayo Clinic) Certaines vont plus loin : la dépression post-partum touche environ 1 mère sur 7 à l’échelle mondiale, avec des formes plus ou moins intenses selon les études, autour de 15 à 20 % des nouvelles mères. (CNIB)
Autrement dit : ressentir autre chose que du bonheur pur, c’est la norme.
Alors pourquoi cette petite phrase “profite, ça passe vite”, qui part souvent d’une bonne intention, peut faire aussi mal ?
Pourquoi elle réactive la pression sociale sur les mamans au lieu de les apaiser ?
Et surtout : qu’est-ce qu’on peut dire (et s’autoriser à se dire à soi-même) à la place, pour alléger cette pression au lieu d’ajouter une couche de culpabilité ?
Dans cet article, on va voir :
- d’où vient cette phrase et pourquoi, en vrai, ce n’est pas méchant ;
- pourquoi elle culpabilise quand tu es déjà au bord des larmes ;
- ce que toi, jeune maman, tu as besoin d’entendre à la place — concrètement, maintenant, pas “un jour tu regretteras”.
Je vais aussi te donner des phrases de réponse toutes prêtes (pour Tata Monique si tu es d’humeur diplomate… ou pas) et des ressources pour t’alléger mentalement, parce que la culpabilité maternelle ne devrait pas être ton état de base. On parlera notamment de charge mentale post-partum et de comment arrêter de porter tout le poids émotionnel de la famille sur tes épaules (je développe ça en détail dans mon guide sur la charge mentale après l’arrivée de bébé, et dans mes contenus sur la colère maternelle / “mom rage”, où j’explique comment reconnaître le moment où tu es à deux doigts de hurler, et comment redescendre sans te détester derrière). (CNIB)
Respire.
Tu n’es pas une mauvaise mère parce que tu ne “profites” pas en continu.
Tu es une humaine en train de vivre une transformation physique, psychique, identitaire et relationnelle massive, en temps réel.
On commence par le début : est-ce que les gens qui te disent “profite” essaient de te faire culpabiliser ? Pas toujours. Et c’est important de le comprendre avant de décider comment tu veux répondre.
L’intention bienveillante derrière la phrase
Si on prend un peu de recul, “Profite, ça passe vite” n’est pas née d’un complot pour culpabiliser les jeunes mamans.
C’est une phrase d’amour maladroite, un réflexe générationnel.
Elle part souvent de la bouche d’une grand-mère émue, d’une amie nostalgique ou d’une collègue attendrie devant la petite main potelée de ton bébé.
Et dans leur tête, à elles, cette phrase veut dire :
“Je me souviens de cette période. C’était dur, mais si précieux. J’aimerais pouvoir y retourner.”
Une phrase héritée de la nostalgie maternelle
C’est un peu le “madeleine de Proust” des mères : une façon de se relier à une époque où leurs enfants étaient encore tout-petits, où les responsabilités semblaient plus simples (parce qu’on a oublié la fatigue et les pleurs de 3h du matin).
Les neurosciences de la mémoire montrent d’ailleurs qu’avec le temps, notre cerveau recolore les souvenirs douloureux d’émotions positives : on se souvient davantage des rires que des cris, des premiers sourires que des nuits blanches.

Résultat : celles qui te disent “profite” se souviennent d’un bébé apaisé, pas du chaos des premières semaines. Elles veulent te transmettre leur tendresse… mais oublient que tu n’en es pas encore au stade des souvenirs.
Toi, tu es encore dans le “maintenant”, et ton “maintenant” est plein de fatigue, de couches et de doutes.
Une injonction sociale déguisée
Le problème, c’est que cette phrase s’inscrit dans un discours social beaucoup plus large : celui de la maternité parfaite et épanouie.
Dans notre culture occidentale moderne, on demande aux femmes d’être performantes dans tout — travail, couple, apparence, parentalité — et d’y trouver du plaisir.
Comme le décrit la sociologue Élisabeth Badinter dans Le Conflit, la femme et la mère (2010), cette “mystique maternelle” valorise le dévouement total, la fusion et la gratitude constante.
Autrement dit : une bonne mère doit aimer, tout le temps, sans se plaindre.
Mais la réalité du post-partum, ce n’est pas ça.
Et te dire “profite”, c’est souvent une manière inconsciente de faire taire ce qui dérange : la fatigue, les pleurs, la colère, le désarroi. C’est une phrase qui rassure celle qui la dit, pas celle qui la reçoit.
Parce qu’elle permet de fermer la discussion sans s’impliquer : pas besoin d’écouter, d’aider ou de reconnaître la difficulté — juste un petit rappel à “voir le bon côté des choses”.
“Profite” devient alors un vernis bienveillant posé sur une réalité qu’on préfère ne pas regarder en face.
Et ce n’est pas forcément volontaire : c’est culturel.
La société a du mal à accueillir la complexité de la maternité. On célèbre la naissance du bébé, rarement la renaissance de la mère. On t’offre des peluches, pas des repas ni des heures de sommeil.
On te dit “profite”, mais rarement “comment tu vas, vraiment ?”.
Ce qu’il y a derrière ces mots
Si on devait traduire honnêtement cette phrase, elle pourrait vouloir dire :
- “Je te souhaite de trouver un peu de douceur au milieu de tout ça.”
- “Je sais que c’est intense, mais ces moments finissent par devenir précieux.”
- “Je t’envoie du courage, même si je ne sais pas comment t’aider.”
Et si elle était reformulée ainsi, tu la recevrais sûrement mieux.
Mais avouons-le, quand on te dit “profite” alors que tu es à deux doigts de t’endormir debout, l’envie de répondre “viens donc profiter à ma place” peut être forte.
Et franchement, tu aurais raison !
👉 Prochaine partie : on va voir pourquoi, malgré son intention douce, cette phrase peut devenir un véritable déclencheur de culpabilité maternelle.
Parce qu’à force de te dire de “profiter”, la société te renvoie un message beaucoup plus lourd : 👉 Prochaine partie : on va voir pourquoi, malgré son intention douce, cette phrase peut devenir un véritable déclencheur de culpabilité maternelle.
Parce qu’à force de te dire de “profiter”, la société te renvoie un message beaucoup plus lourd : “Si tu ne souris pas, tu fais mal ton job de mère.”
Pourquoi elle culpabilise au lieu d’apaiser
On aimerait que cette phrase soit un câlin verbal.
Mais dans la réalité du post-partum, “profite, ça passe vite” agit souvent comme une piqûre invisible de culpabilité. Parce qu’elle dit le contraire de ce que tu ressens, au moment même où tu aurais besoin qu’on t’écoute.
Parce qu’elle nie la réalité du post-partum
Tu aimerais bien “profiter”, évidemment.
Mais comment savourer l’instant quand ton corps peine à récupérer, que tu t’endors debout et que ton bébé réclame toutes les deux heures ?
Les chiffres le confirment : selon la Haute Autorité de Santé (HAS, 2023), près de 80 % des jeunes mamans traversent un baby blues dans les jours suivant l’accouchement — irritabilité, pleurs, anxiété, épuisement. Et 1 femme sur 5 connaît une dépression post-partum nécessitant un suivi spécifique.
Autrement dit : ce n’est pas toi qui dramatises. Ce que tu vis est un événement biologique, psychologique et émotionnel majeur.
Alors quand quelqu’un te dit “profite”, il efface cette complexité d’un revers de main. C’est comme si on disait à un coureur essoufflé : “Respire mieux, tu verras, c’est agréable.”
L’intention est bonne, mais le timing désastreux.
Résultat : tu te demandes pourquoi tu n’arrives pas à ressentir ce que tu es censée ressentir. Et là, la culpabilité s’invite à la fête.
Parce qu’elle crée une double contrainte impossible
Cette petite phrase te coince dans un paradoxe typiquement féminin :
- d’un côté, tu dois être reconnaissante (“tu as un bébé en bonne santé, quelle chance !”),
- de l’autre, tu dois assurer sur tous les fronts (ménage, couple, mails du boulot, allaitement, rendez-vous pédiatre…).
Bref : tu dois profiter, mais sans jamais te reposer.

C’est ce que les psychologues appellent une double contrainte : deux injonctions contradictoires auxquelles tu ne peux obéir en même temps.
Et c’est précisément ce type de tension qui alimente la culpabilité des jeunes mamans : quoi que tu fasses, tu as tort.
Même les moments de repos deviennent suspects : “Je dors pendant qu’il dort, mais je ne profite pas.”
Résultat : tu culpabilises de ne pas profiter, tu culpabilises de te reposer, et tu finis… épuisée des deux côtés.
Avouons-le : parfois, “profite” ressemble davantage à un ordre qu’à un conseil. Et si c’était plutôt un symptôme de notre obsession collective pour la performance ?
Parce qu’elle réactive le syndrome de la bonne élève
Si tu es comme beaucoup de femmes de ta génération — ambitieuse, organisée, perfectionniste — tu as grandi avec l’idée que ta valeur dépend de ta capacité à réussir.
Alors quand la maternité arrive, tu veux “bien faire”.
Mais il n’y a ni barème, ni note, ni tableau de bord pour “réussir” ton post-partum. Chaque pleur, chaque raté, chaque tétée difficile devient une mini-évaluation intérieure.
Et cette phrase, “profite”, vient renforcer ce sentiment :
“Tu devrais faire mieux, être plus légère, plus heureuse, plus reconnaissante.”
Ce syndrome de la bonne élève, décrit par la psychologue Isabelle Filliozat (Il n’y a pas de parent parfait, 2004), s’exprime souvent dans la maternité : vouloir tout comprendre, tout anticiper, tout gérer… quitte à s’épuiser.
Mais la maternité n’est pas un examen : c’est une traversée. Et c’est précisément quand tu arrêtes de chercher à tout “bien faire” que tu commences à respirer à nouveau.
Quand “profite” devient “fais semblant”
La plus grande violence de cette phrase, c’est peut-être qu’elle invisibilise ta souffrance.
Parce qu’elle suppose que tout ce que tu vis devrait être “magique”.
Or, la magie, dans le post-partum, c’est quand tu parviens à manger ton plat encore chaud.
Et entre nous, si tu devais vraiment “profiter” de tout, il faudrait probablement prévoir des vacances post-post-partum de six mois pour t’en remettre. 😅
👉 Prochaine étape : et si on changeait la bande-son ?
Dans la dernière partie, on va voir ce que les jeunes mamans ont réellement besoin d’entendre pour se sentir soutenues — pas jugées. Parce qu’à la place de “profite”, il existe des phrases qui réparent, qui apaisent, et qui redonnent du souffle.
Ce que les jeunes mamans ont besoin d’entendre à la place
Parce que oui — les mots comptent. Et à ce moment de ta vie où tout est chamboulé, une phrase peut faire la différence entre culpabilité et réconfort.
Entre “je me sens nulle” et “je suis normale”.
Entre “je craque” et “je respire”.
Alors si on arrêtait de dire “profite” pour dire des choses qui soutiennent vraiment ?
Valider les émotions au lieu de les nier
Ce dont une jeune maman a besoin, ce n’est pas qu’on la corrige — c’est qu’on la reconnaisse.
C’est la base de la validation émotionnelle, un concept fondamental en psychologie (Linehan, 2015) : être entendue sans jugement apaise le système nerveux et restaure la sécurité intérieure.
Au lieu de “Profite, ça passe vite”, on peut dire :
- “Tu fais déjà beaucoup.”
- “C’est normal d’en avoir marre.”
- “Tu as le droit de ne pas aimer chaque instant.”
- “Tu es une bonne mère, même quand tu n’en peux plus.”
Valider, ce n’est pas approuver ni solutionner. C’est simplement dire : “Je te vois.”
Et cette reconnaissance, toute simple, agit comme un baume. Elle transforme la honte en humanité, la solitude en lien.

Si tu veux aller plus loin sur ce sujet, j’en parle aussi dans mon article sur la charge mentale post-partum : comment sortir de la spirale “je devrais faire plus” et apprendre à demander de l’aide sans te sentir coupable.
Offrir de l’aide concrète plutôt que des mots creux
“Profite” n’aide pas à étendre une lessive.
“Tu veux que je t’aide à dormir une heure ?” — oui.
Une jeune maman a besoin de gestes, pas de conseils. Et le plus beau soutien, c’est souvent le plus banal :
- déposer un plat chaud,
- prendre le bébé pour qu’elle prenne une vraie douche,
- envoyer un message sans attente (“je pense à toi, pas besoin de répondre”),
- venir boire un café sans commenter le désordre.
Parce que la solidarité post-partum, c’est ça : des petits actes qui disent “tu n’es pas seule”.
C’est tout le sens de ce que j’appelle “recréer sa tribu”, que j’explique dans cet article : comment renouer avec une forme de maternité collective, loin de l’isolement moderne.
Changer la culture du “profite”
Le vrai changement commence par là : changer les mots pour changer la culture.
Si chaque “profite” devenait un “prends soin de toi”, combien de mères se sentiraient enfin légitimes à souffler ?
🧭 Ce qu’on peut dire à la place :
- “Tu as le droit d’être fatiguée.”
- “Tu es en train de vivre quelque chose d’immense.”
- “Tu n’as rien à prouver.”
- “Tu n’as pas besoin de profiter pour être une bonne mère.”
Et si on se le disait aussi entre nous, de mères à mères ?
Parce qu’au fond, ce qui fait du bien, ce n’est pas la phrase parfaite — c’est la permission d’être imparfaite.
Alors non, tu ne profites peut-être pas de chaque instant… mais tu es là. Présente, aimante, courageuse. Et c’est déjà immense.
En résumé
“Profite, ça passe vite” part souvent d’une intention douce, mais elle se transforme vite en poids invisible.
À la place, choisis des mots qui soutiennent, des gestes qui soulagent, des silences qui écoutent. Et si tu es toi-même cette jeune maman qui lit ces lignes les yeux mi-clos entre deux tétées :
Respire.
Tu n’as rien raté. Tu vis simplement la vraie vie — pas la version Instagram.
Conclusion
Non, tu n’as pas besoin de “profiter”.
Tu as besoin de temps, de repos, d’écoute, de douceur et d’aide.
Tu as besoin qu’on t’autorise à être humaine, pas héroïque.
Et si tu veux apprendre à t’alléger de la culpabilité et retrouver un équilibre qui te ressemble, télécharge mon ebook gratuit “Retrouver l’équilibre après bébé” : un guide bienveillant pour traverser le post-partum sans t’oublier.
Parce que oui, le temps passe vite. Mais tu as le droit d’en vivre chaque étape à ton rythme.


